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Chloé Laum : Interview pour « 40 degrés nord »
Lors du Pic d’Or 2012, j’ai profité de ma condition de membre du jury pour repérer les artistes qui m’intéressaient (en vue d’éventuelles mandorisations). Et j’en ai trouvé. Plus que je ne l’espérais (je vous ai dit que c’était un sacré bon cru ?).
Après Pierre Donoré, voici Chloé Laum (avant de retrouver Scotch et Sofa, Pic d’or 2012 et Tomislav, Pic d’argent 2012, déjà enregistrés). Elle est venue à l’agence le 14 juin dernier.
D’autres les succèderont…
En « enquêtant » sur Chloé Laum (et surtout sur son disque), je suis tombé sur un article d’un de mes éminents confrères spécialisé dans la chanson française, Michel Kemper,qui dit tout (et mieux que je ne l’aurais fait). Cet article, les vidéos et mon interview vous inciteront, je l’espère vivement, à vous pencher sur l’œuvre de cette jeune femme aussi dynamique que pétrie de talent.
« Que doit-on le plus louer en ce disque ? L’élégant digipack ou la superbe (le mot ne suffit pas pour qualifier un tel objet) version livre-disque collector, l’étonnante qualité du son… Ou simplement ce qu’est et ce que chante cette parfaite inconnue qu’est Chloé Laum, chanteuse dont c’est le premier album et dont on ne sait rien. Si ce n’est sa passion du son, des notes et de la langue française, ses artistes tutélaires que sont Brel, Ferré,Reggiani, Angélique Ionatos, Bach, Keith Jarret et quelques autres. Dont on trouve les soupçons, les traces, en cet assez remarquable opus. Il y a dans cet album « l’ambition, le goût des autres, des détours, des chemins de traverse et des musiques d’ailleurs ; le désir de rendre hommage à cette Méditerranée qu’elle admire, à son humanité et son universalité. » C’est une heureuse, une chaleureuse surprise que cette Chloé Laum, une voix fiévreuse et chaude, un sens de la perfection poussé très loin. Et, effectivement, un art assez indéfinissable qui emprunte à diverses rives de part et d’autre du 40°N et fait singulière collection d’émotions, en les partageant, en les offrant à qui sait écouter. Émotions, oui, tant c’est le moteur de cette dame, le justificatif, la raison sociale de ce disque pas tout à fait comme les autres. Chapeau ! »
Michel Kemper.
Interview :
Tu arrives et tu proposes directement un disque sublime dans un packaging qui l’est tout autant… c’est un livre-disque en fait.
C’est quand même un projet un peu fou de faire de la musique. Quitte à entreprendre les choses, autant y aller à fond, en essayant de se dire que ça va déboucher sur quelque chose. Je me suis demandé comment faire pour se différencier. Envoyer un boitier cristal à tout le monde… j’étais à peu près sûre que ça ne servait à rien. J’ai fait un disque dans lequel je suis allé jusqu’au bout artistiquement de ce que j’étais capable de faire à ce moment-là. J’ai conçu un objet qui donne envie aux gens d’acheter, d’aller dans la découverte de ce que je peux proposer. Il se trouve que j’ai un frère qui est éditeur de livre depuis une dizaine d’années. Un puriste amoureux de l’objet livre, qui en édite, principalement de sciences humaines, des livres assez pointus. Je lui ai demandé de mutualiser nos forces et il a été d’accord pour fabriquer l’objet.
C’est une grande force d’être bien entouré…
Oui, être entouré de gens qui ont du talent, qui bougent et qui ont des projets et une sacrée chance et un gros atout.
Si on ne te connaissait pas, tu n’es pas pour autant une débutante. Tu as même une formation musicale conséquente.
De 5 ans à 15 ans, j’étais au conservatoire, donc la musique n’est pas totalement étrangère à ma formation. Par contre, après, je n’ai pas fait d’étude musicale, je suis partie dans un développement assez classique de mon milieu social d’intellectuels de gauche. J’ai fait des études littéraires, ensuite science-po.
J’ai senti dans tes textes que tu es quelqu’un de lettré. De par ton écriture et de certaines références que tu cites.
S’il y a bien un privilège que j’ai eu pendant mon enfance, au-delà de l’argent, c’est bien d’avoir pu accéder à la culture au sens large. C’est une espèce d’ouverture sur le monde et un questionnement permanent. Mes frères, mes sœurs et moi, on a grandi dans cet univers-là.
Il était donc pour toi hors de question d’écrire de simples « chansonnettes ».
Je me disais qu’en tant qu’interprète, je ne pouvais faire autrement que de dire des choses.
Dans « Mes aînés », tu cites Aragon et Neruda… Comme tu y vas ! Tu ne fais pas tout pour acquérir un large public !
Le public qui achète de la musique au sens large, il s’est considérablement réduit. Les gens qui seraient intéressés par mon projet sont plus dans la catégorie de ceux qui achètent de la musique, qui ne se demandent pas s’ils téléchargent ou pas et qui ne rechignent pas à aller aux concerts. Ce sont des gens qui comprennent que c’est comme ça qu’on sauvera la création musicale.
Dans 40 degrés Nord, tu nous emmènes, je te cite, « dans des Terres où hommes et femmes, depuis que le monde est monde, ont trouvé en musique la manière de rendre les émotions éternelles ». Si j’en juge la musique, ce sont des Terres d’Europe du sud, non ?
Oui, je me suis inspirée de la musique qui va du Portugal jusqu’au Balkan et au Caucase presque. On retrouve des influences du fado portugais, du flamenco ou de la musique orientale…
Tu as voyagé dans ces pays-là ?
Oui, et ce sont des musiques que j’ai écoutées depuis toute petite. Les harmonies sont très particulières et on sent tout de suite qu’on est dans un mélange entre quelque chose qui est très nostalgique et en même temps quelque chose de très passionné, dure et pleine d’énergie ! La difficulté pour moi a été de faire sonner des mots français sur cette musique spécifique. C’était même un petit défi.
Tu as fait attention au sens et au son. (En exagérant) Une double difficulté qui fait de toi une guerrière de la chanson française, en somme !
(Rires) Oh, ça me plait bien ça ! Bon, je suis consciente qu’il y a des imperfections dans le disque, mais je pense qu’en un an, j’ai muri, notamment dans la partie « chanteuse » et comportement scénique. Je sais que j’ai encore plein de choses à apprendre et je suis vraiment dans une dynamique de progression.
Il y a un charme suranné dans ton écriture… c’est rare.
Ma chanson préférée de tous les temps, c’est « La mémoire et la mer » de Léo Ferré. Elle a côté éternel, intemporel. J’adorais la manière dont ces artistes-là faisaient passer les émotions à travers leurs mots et aussi à travers la façon dont ils les dictaient. Ferré, Brel, Ferrat, Reggiani, quand je les écoute, ça me fait un effet différent que quand j’écoute les artistes contemporains de ces 30 dernières années. Il y a eu un moment de grâce dans la chanson française de ces chanteurs-là. Ce sont un peu mes maîtres. Ils m’ont beaucoup influencé. Dans mon écriture, il y a donc une forme de nostalgie, mais qui vient aussi de ce que je suis intrinsèquement.
La chanson préférée de Chloé Laum. « La mémoire et la mer » de Léo Ferré.
Tu emploies les mots « désenchantés », « désabusés » dans « A mes aînés ». Tu as l’impression de l’être ?
J’ai le sentiment d’avoir des opinions, d’être engagée, d’avoir des choses à dire, mais ce qui me désespère, c’est de n’avoir aucune solution à proposer. C’est ce qui fait que je ne m’engagerai jamais politiquement. J’ai un état d’esprit de gauche, mais parfois, je vais voter en me disant que je n’y crois pas une seconde. C’est une forme de désenchantement parce qu’on fait le constat que l’on n’est pas axé sur l’humain, mais pour autant, personne n’a de solution à proposer. Personne.
Mais, au fond, faut-il proposer des solutions dans les chansons ?
Pas du tout, d’ailleurs, je n’en propose pas. Mais, justement, mon côté désabusé vient de là. C’est paradoxale, je sais, mais du coup, je ne fais que décrire. Il y a des gens qui tentent d’agir, qui sont dans l’humanitaire, qui s’engagent physiquement… et moi je chante.
C’est très important, l’acte de divertir les gens, de tenter juste d’éveiller les consciences par les mots et la musique.
Oui, tu as raison. C’est un autre rôle social.
Tu es devenue entrepreneuse pour sortir ce disque. Tu as un peu tout largué pour ce projet.
J’ai même mis des sous. J’essaye de partir dans plein de ramifications différentes pour essayer, à terme, de vivre de la musique d’une façon ou d’une autre. Le propos n’est pas de « devenir une star », mais je veux juste pouvoir vivre de la musique.
Il y a des formules, comme dans « Madame conscience » : « A trop voir le monde tel qu’il est, il faut s’attendre à tomber sur soi ». J’adore.
S’il y a une chose dont je suis fière et que je ne m’attendais pas à concrétiser, c’est l’acte d’écrire. J’adore ça. J’y prends un plaisir fou. Tu as vu, j’ai écrit sur mon expérience au Pic d’Or par exemple. J’aime bien raconter des histoires. Peut-être que dans 10 ans, je ferai ton métier, qui sait ?
Pour booster un peu ta carrière, tu cherches quoi exactement à l’heure actuelle ?
Je cherche des partenaires qui puissent me permettre de faire une résidence quelque part. En échange d’ateliers, d’un concert en fin de résidence… ce n’est pas évident à trouver et pourtant, je cherche.
Tu es en train de travailler sur le deuxième album, en ce moment !
Oui. Et il sera un peu plus rock un peu déjanté. Là aussi, au lieu de tout faire moi-même, j’aimerais bien trouver un partenaire de production ou un label.
Il faut pour cela que les gens sachent que tu existes.
Le problème majeur est précisément celui-là.
François Alquier – Mandor